Tout savoir sur les vins immergés

Tout savoir sur les vins immergés

Les élevages atypiques sont en vogue et prétextes à expérimentations œnologiques et organoleptiques. Plongeons donc dans les abysses, en mer ou en eau douce, pour découvrir ces cuvées sous-marines : un Champagne à Ouessant, un Chardonnay ou une Roussanne dans un lac, un Fitou ou des Côtes du Roussillon dans un étang. Immersion immédiate !

Ce n’est pas le vin qui prend la mer, c’est la mer qui prend le vin... Maintenant que le refrain est en tête, plongeons donc sous l’eau observer quelques initiatives originales qui consistent à faire vieillir, voire vinifier, du vin sous l’eau. Comme ce “Blanc des Cabanes, un Graves blanc, ou cette barrique de Larrivet Haut-Brion immergés dans le Bassin d’Arcachon. Ou encore la médiatique expérience “Cellar in the Sea” de Veuve Clicquot suite à la découverte en 2010 de bouteilles dans une épave qui a sombré en 1840 en Mer Baltique. On déniche aussi une boutique en ligne Vin d’O qui commercialise des vins immergés en Baie de Morlaix... Pour le plaisir, pour l’Histoire, pour la science œnologique, les raisons sont nombreuses pour tenter l’immersion et voir ce qui se passe quand le vin prend l’eau.

Bouteilles voyageuses - Crédit photo : Champ des sœurs
Bouteilles voyageuses - Crédit photo : Champ des sœurs

Histoire, vin et voyage

L’Histoire du vin et de la mer est ancienne (lisez notre article sur l'Histoire du vin). Il y a une vingtaine de siècles, l’agronome romain Lucius Columelle, célèbre pour son traité De re rustica dont le tome 3 est consacré à la vigne et au vin, préconisait l’ajout d’eau de mer au vin. Au XVIIème siècle, les portugais eurent l’idée de bloquer la fermentation des vins qu’ils expédiaient par bateau en Angleterre en ajoutant de l’eau de vie au raisin pressé : ainsi naquit le Porto... Clin d’œil aux expéditions d’antan des vins de Bordeaux, le Château Le Puy, près de Saint-Emilion, expédie quelques barriques pendant 8 mois sur une goélette pour élaborer sa cuvée “Retour des Iles”. Dans le Roussillon, le Domaine Jonquères d’Oriola a organisé un tour du monde en bateau pour élaborer deux cuvées 2017 version “100 jours en mer” et “100 jours en cave”. A la clef, une évolution accélérée, avec des tanins plus fondus et une jolie souplesse…

Vin à la mer – Crédit photos : Leclerc Briant
Vin à la mer – Crédit photos : Leclerc Briant

Vins immergés, entre physico-chimie et marketing

Si l’immersion de vin est parfois prétexte à la commercialisation de duo de bouteilles élevage en mer vs élevage sur terre comme chez Champagne Drappier, elle est aussi l’occasion de questionner la science œnologique. Que se passe-t-il sous l’eau ? Depuis 2021, à l’initiative de la mairie de Colmar qui célébrait les 70 ans de la Route des Vins et en collaboration avec l’INRAE, un projet scientifique inédit étudie l’immersion à 25 m de bouteilles de Crémant d’Alsace dans la base nautique de la ville. Moussabilité, cartographie moléculaire des composés aromatiques du vin, différences organoleptiques sont mesurées tous les 18 mois et jusqu’en 2031 pour comprendre en quoi et comment l’environnement impacte le vin. Il y a deux approches dans l’exercice d’immersion, explique Hervé Jestin, œnologue conseil auprès de la maison de champagne Leclerc Briant. Une approche physico-chimique (absence d’oxygène, pression, température, obscurité, mouvement des marées…) et une approche biodynamique où le vin absorbe l’information d’un milieu foisonnant de vie et d’énergie qui vont le faire évoluer.

Bouteilles après immersion - Crédit photo : Champ des Sœurs
Bouteilles après immersion - Crédit photo : Champ des Sœurs

Champagne d’exception : la cuvée Abyss de Leclerc-Briant au large d’Ouesssant

Car chez Leclerc Briant, maison sparnassienne fondée en 1872, l’élaboration du champagne relève d’une approche holistique et presque mystique. Hervé y est surnommé “l’homme qui murmure à l’oreille des barriques”, on vinifie en fonction de la lune, des constellations et des marées, on mesure l’énergie des vins et on s’amuse à faire dialoguer le vin avec différents contenants (bois, mais aussi globe de verre suspendu, œuf de terre cuite mais couché et même une barrique en or sur-mesure et exclusive…
Pour la cuvée Abyss, la mer devient un contenant grandeur nature avec l’immersion de quelques milliers de bouteilles au large d’Ouessant, pendant un an (une révolution solaire) dans une concession en partenariat avec l’entreprise Amphoris. Au sein de ce vortex géant créé par la rencontre entre la Manche et l’Atlantique, le champagne va retrouver la mer/mère (le sol calcaire de la Vallée de la Marne provient des coquillages déposés il y a 40 à 50 millions d’années quand la mer recouvrait la Champagne), renouer avec la mémoire de l’humanité et la puissance de la nature.
A la dégustation, la cuvée Abyss, en blanc ou en rosé, se révèle d’une grande complexité. “Il serait réducteur de se contenter de parler de maturation accélérée et de salinité, s’enthousiasme Frédéric Zeimett, pdg de la maison d’Epernay. Parce qu’il y a équilibre de pression (6 bars à 60 m de fond et 6 bars dans une bouteille d’effervescent), le vin évolue sans aucune entrée ni sortie et si un côté salé et iodé est perceptible, ces cuvées ne ressemblent en fait à rien de connu”. Avec des langoustines rôties ou un saumon gravlax, on reconnait tout de même l’accord parfait… Une expérience à prolonger avec une dégustation des cuvées parcellaires de la maison et un séjour au magnifique 25 bis sur l’Avenue de Champagne d’Epernay.

Le trésor des Abyss dans la cave Leclert Briant - Crédit Alexandra Foissac
Le trésor des Abyss dans la cave Leclert Briant - Crédit Alexandra Foissac

Egiategia, vinification sous-marine sur la Côte Basque

Autre expérience effervescente et globale : celle d’Egiategia. Né au début des années 2000, le concept réunit les deux passions, le vin et l’océan, d’Emmanuel Poirmeur. Ingénieur et œnologue, il est l’inventeur de la vinification sous-marine, qui s’inspire de la méthode Charmat mais en utilisant l’énergie de l’océan. Depuis 2008, ce natif du pays basque immerge donc ses cuves (en plastique faites sur mesure) à 15 mètres de profondeur dans la baie de Saint-Jean-de-Luz : un vin de base spécifiquement élaboré à terre réalise sous l’eau une seconde fermentation alcoolique, de type prise de mousse, dans les conditions violentes, aléatoires et changeantes (toutes les 6 heures) des marées du Golfe de Gascogne. Une sorte d’hyper-bâtonnage sans oxygène qui entraine une dégradation des lies accélérée…
Deux cuvées en trois couleurs sont commercialisées : le Dena Dela, assemblage de cuvées terre et mer et le Artha, 100% vinifié en mer. Une perlance et une trame aromatique inconnue avec un côté citronnade sur les blancs et des polyphénols denses sur les rouges, les caractérisent. “Loin du folklore, notre ambition est aussi de faire revivre la tradition viticole sur la côte basque, dans une démarche écoresponsable et innovante pour produire des vins locaux qui s’accordent avec ce qu’on mange ici. De l’œnologie expérimentale en quelque sorte” résume le fondateur, qui envisage d’exporter sa technologie, brevetée.

Champ des Soeurs : un Fitou sous les falaises de Leucate

Autre mer, autre style. A Fitou, Laurent Maynadier, 13ème génération aux manettes du Champ des Sœurs immerge depuis 15 ans quelques cuvées chez ses voisins ostréiculteurs de Leucate, à 5 mètres de profondeur pour garder l’amplitude thermique. L’idée un peu folle au départ est d’honorer les racines maritimes de l’appellation Fitou située en bord de mer. On dégustait de façon un peu aléatoire mais au bout de 3 mois, les vins élevés en mer étaient différents. Analytiquement, on ne décèle rien mais on observe que les vins rouges perdent en couleur tandis qu’un vin de Muscat blanc cueilli tôt gagne en finesse. Cette année, nous allons immerger un vin orange précise le vigneron qui réfléchit aussi à immerger sa Cuvée sous la mer à Deauville tout en poursuivant ses projets d’agroforesterie et de plantation d’aloe vera, pour s’adapter au changement climatique.

Les bouteilles de Champ des Sœurs prêtes à plonger au milieu des huitres de Leucate - Crédit photo : Champ des Sœurs
Les bouteilles de Champ des Sœurs prêtes à plonger au milieu des huitres de Leucate - Crédit photo : Champ des Sœurs

Option lacustre : de l’Auvergne aux Alpes

Benoit Montel, vigneron auvergnat, a immergé lui aussi ses Côtes d’Auvergne blanc dans les parcs à huitres de Leucate. Cet amateur de micro-cuvées et d’expériences pratique depuis plus de 10 ans l’immersion de bouteilles et désormais de barriques dans les lacs d’Auvergne : ses Abysses volcaniques passent 12 à 18 mois dans le Lac Pavin offrant un Chardonnay aux jolies notes boisées et vanillées mais avec une grande fraicheur. “Les rouges passés sous l’eau sont plus durs et resserrés tandis que les blancs conservent une grande fraicheur et jeunesse.

Les vins de Benoit Montel dans les lacs d’Auvergne - Crédit photo : Benoit Montel
Les vins de Benoit Montel dans les lacs d’Auvergne - Crédit photo : Benoit Montel

A 25 mètres de profondeur, 4°C et dans le noir, le vin ne bouge pas dans ce lac très calme. A l’inverse, dans l’eau salée, mes vins évoluaient plus rapidement” précise le vigneron passionné. Et généreux car ces cuvées sont vendues au profit d’une association qui aide les enfants atteints d’un cancer.
Plus haut, dans le lac de Tignes (et auparavant dans les lacs de Genève, d’Annecy et du Bourget), le domaine Perceval immerge Mondeuse et Roussanne en fûts,
amphores ou bouteilles sous la glace des lacs alpins. “Sous l’eau, dans une obscurité totale et des conditions d’hygrométries parfaites, nos vins gagnent entre 3 et 5 ans de maturation avec une évolution amplifiée grâce aux remous naturels et réguliers du lac” affirme Pascal Perceval.

Le Vin des Profondeurs de Perceval de retour de sous la glace - Crédit photo : domaine Perceval
Le Vin des Profondeurs de Perceval de retour de sous la glace - Crédit photo : domaine Perceval

L’évènement grand public : les Bouteilles à la mer à Canet-en-Roussillon

Chaque année pour fêter le début de l’été, Canet-en-Roussillon invite à découvrir ses Bouteilles à la mer. Au cours d’une balade dans les vignes alentours, en musique et avec la mer en toile de fond, on déguste les cuvées d’une dizaine de vignerons locaux.

Les vignerons de Canet récupèrent leurs cuvées immergées – Crédit photo : Office de tourisme de Canet-en-Roussillon
Les vignerons de Canet récupèrent leurs cuvées immergées – Crédit photo : Office de tourisme de Canet-en-Roussillon

L’idée, au-delà de l’événement festif, est de lier la vigne et la mer, deux éléments caractéristiques de cette station balnéaire où la culture de la vigne date du 11ème siècle. Cette balade vigneronne permet la dégustation (accompagnée de grignotages) comparative des cuvées plongées à 5 mètres dans l’étang de Canet et de la cuvée sœur élevée en cave. Tout cela se poursuit par un repas champêtre sous les pins de l’arboretum où l’on retrouve les vignerons (et leurs vins) rencontrés au cours de la balade. Pour l’édition 2023, 10 domaines s’étaient prêtés au jeu : Domaine de l’Arca, Château de Rey, Domaine Lafage, Château des Hospices de Canet, Château de l’Esparrou, Mas Bax, Domaine Rière Cadène, Mas Latour Lavail, Le Clos d’Elpis, Domaine Singla.

Crédit photo de couverture : Leclerc-Briant

Lisez aussi notre article pour tout savoir sur les vins élevés en altitude !

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