Tout savoir sur l’effet de l’altitude sur les vins

Tout savoir sur l’effet de l’altitude sur les vins

Après notre focus sur l'élevage des vins en mer, voici notre focus sur les vins élevés en montagne. Alpes, Pyrénées, Aubrac, vins vieillis dans un refuge ou vin de glace cryoextrait, quel est l’impact du froid et de l’altitude sur l’évolution du vin ? Avec quelques expérimentations et dégustations à la clef.

Des cuves en altitude : le vin de glace Perceval au refuge des Cosmiques - Crédit photo : Domaine Perceval
Des cuves en altitude : le vin de glace Perceval au refuge des Cosmiques - Crédit photo : Domaine Perceval

Vin et montagne. On voit venir les adeptes de Roussette savoyarde et autres Petite Arvine et Fendant suisses qui s’imaginent déjà, les skis à peine déchaussés, en train de savourer raclette ou fondue dans un restaurant sur les pistes. On pense aussi à ces vignobles pentus et parfois enneigés qui se sont regroupés sous le slogan de “viticulture héroïque” au sein d’un consortium, le CERVIM (Centre de Recherches et d'Étude, de Protection, de Représentation et de Valorisation de la Viticulture de Montagne, en Forte Pente et des Petites Iles). Mais ici, nous allons parler "œnologie" et "impact de la montagne" et donc de l’altitude et du froid sur les vins. A l’image des vins immergés en mer, quel est l’impact de ces conditions extrêmes sur les qualités organoleptiques du vin ?

Un peu de physico-chimie

Pression, température, oxygène : là-haut, tout change ! En altitude, la température descend, la pression atmosphérique augmente, le taux d’oxygène diminue, l’hygrométrie est beaucoup plus faible. Si le corps humain en ressent les effets et s’adapte, le vin aussi. La vigne aussi s'adapte d’ailleurs pour les vignobles plantés en altitude : car si elle est usuellement plantée entre le niveau de la mer et près de 800 mètres d’altitude, quelques vignobles grimpent jusqu’à plus de 1100 mètres comme en Andorre, dans le Valais en Suisse ou encore au Chili qui détient le record d’un vignoble planté à 3600 mètres.
Mais revenons au vin et à l’effet de l’altitude sur son évolution. La moindre concentration en gaz carbonique liée à la pression atmosphérique plus basse entraine un vieillissement ralenti, le vin étant comme en sommeil. Un effet somme toute inverse à celui du vieillissement en mer qui aurait un effet accélérateur selon certains.

L’expérience Les vins au sommet

Pour vérifier cette hypothèse, les chefs René et Maxime Meilleur du restaurant triplement étoilé La Bouitte en Savoie, père et fils passionnés d’œnologie, ont initié une expérimentation atypique, en partant de constats de cuisinier : en altitude, l’eau bout à 95°C, la pâte à pain lève 2 fois plus vite du fait de l’action amplifiée du gaz carbonique…

La Bouitte, une maison familiale et authentique dans les Alpes - Crédit photo : Matthieu Cellard
La Bouitte, une maison familiale et authentique dans les Alpes - Crédit photo : Matthieu Cellard

Menées en 2004 et 2005, deux dégustations d’exception avaient donc pour objectif d’évaluer l’effet du stockage de cuvées prestigieuses dans deux restaurants d’altitude, La Bouitte à Saint-Martin de Belleville (1450 mètres d’altitude) et l’Oxalys à Val Thorens (2300 mètres). En 2004, des vins du millésime 1990 conservés en moyenne 12 ans en altitude ont révélé une plus grande finesse et des arômes plus élégants que leurs équivalents conservés aux domaines. Avec trois prix décernés : Château Montus Cuvée Prestige en Madiran, le vin qui avait le plus gagné à ce séjour en altitude, le Château Lynch Bages, cru classé de Pauillac, le plus régulier, et un Chignin Bergeron 1993 de Louis Magnin qui a ébloui, selon le communiqué de l’époque, le jury présidé par Bernard Burtschy. La dégustation 2005, qui regroupait des vins de 9 régions viticoles françaises conservés entre 6 mois et 18 ans en altitude, a également constaté des tanins plus fondus et des matières plus suaves, avec des différences importantes selon les cépages, Syrah, Tannat, Pinot, Cabernet sauvignon et Merlot étant transcendés par l’altitude.
Quant aux effervescents, ils gagnent des bulles plus fines et vives et des arômes également plus nuancés. L’Hermitage Guigal Rouge 1990 et le Champagne Henriot 1990 ayant le plus gagné au vieillissement en altitude, tandis que la cuvée Edmond 2000 d’Alphonse Mellot en Sancerre était le coup de cœur du jury présidé par Michel Bettane. Le meilleur accord mets et vins revenait au Côte Rôtie La Turque de Guigal, aussi bon en plaine qu’en montagne et parfait sur un pigeon en croûte du chef Jean Sulpice.

Ursus et Apremont, cimes et tréfonds

Complexité, précision, subtilité et le maintien d’un caractère jeune : les dégustations Les Vins aux Sommets indiquent une certaine bonification sur des bouteilles conservées en altitude. Mais qu’en est il si on pousse l’expérience plus loin ?
En 2020, les deux chefs imaginent donc de tester l’effet de l’altitude sur l’élevage des vins en partenariat avec un autre duo père-fils, Michel et Fabien Brotons, du Clos de l’Ours dans le Var.

René Meilleur, Michel et Fabien Brotons accompagnent le Clos de l’Ours au refuge - Crédit photo : @OT Les Menuires - Cyril Gervais
René Meilleur, Michel et Fabien Brotons accompagnent le Clos de l’Ours au refuge - Crédit photo : @OT Les Menuires - Cyril Gervais

Une barrique en chêne de 225 litres est donc montée en chenillette jusqu’à leur restaurant d’altitude Le Bouche à Oreille, à 2700 m d’altitude. La cuvée Ursus 2019, 90% Syrah, 10% Mourvèdre, vieillira deux ans dans la cave semi-enterrée du restaurant. Dégusté début 2022, le vin montre une “plénitude supplémentaire par rapport au vin élevé en plaine” avec des arômes de fruits épanouis et charmeurs, une profondeur accentuée, une polymérisation des tanins optimisée et une plus grande complexité avec un effet “umami” de l’altitude selon les dégustateurs. L’opération a donc été renouvelée sur le millésime 2021. Et une autre opération déjà lancée, étudiant l’effet de l’altitude sur un vin sur 4 niveaux : c’est la cuvée Cœur d’Apremont 2019 de Jean-Claude Masson qui en 2022 a été dispersée sur 4 sites : à 400 m d’altitude mais à 50 m de profondeur sous l’eau dans le lac d’Annecy, en plaine au Domaine à 320 m, à La Bouitte à 1502 m et au Bouche à Oreille à 2700 m.

La cave du restaurant La Bouitte - Crédit photo : Marc Müller
La cave du restaurant La Bouitte - Crédit photo : Marc Müller

Vin de glace de haute montagne

Plus connu sous le nom de IceWine, au Canada, ou encore Eiswein en Allemagne ou Autriche, le vin de glace est un vin liquoreux intense et surprenant (lisez notre article https://www.toutlevin.com/article/qu-est-ce-qu-un-vin-de-glace Qu'est-ce qu'un vin de glace ?)].

Le vin des glaces de Perceval - Crédit photo : Domaine Perceval
Le vin des glaces de Perceval - Crédit photo : Domaine Perceval

Elaboré à partir de raisins cueillis en surmaturité par grand froid, ils se caractérisent par leur concentration, car le pressurage des raisins gelés ne laisse passer qu’un jus très sucré, l’eau restant piégée sous forme de cristaux de glace, et la fermentation se fait sur cette base concentrée.

Hélitreuillage de cuvées au sommet - Crédit photo : Domaine Perceval
Hélitreuillage de cuvées au sommet - Crédit photo : Domaine Perceval

En Savoie, Pascal Perceval pousse le concept encore plus loin en hélitreuillant par hélicoptère ses cuves de Jacquère fraichement pressée à 3613 mètres, au refuge des Cosmiques, au dessous du Mont Blanc pour y laisser geler ses jus durant 5 à 30 jours : un process de cryoextraction va séparer l’eau (environ 70%) qui va geler et le jus concentré (30%) qui sera ensuite mis seul en fermentation une fois la cuve redescendue au domaine. Quelques 4000 bouteilles de ce vin des glaces naturel de haute montagne sont obtenues: à peine 9% d’alcool mais une explosion d’arômes et de saveurs sur fond de miel et fruit confit, au terme d’une expérience grandeur nature atypique.

Des Pyrénées à l’Aubrac en passant par la Cerdagne

Lauréat d’un prix des Vins aux Sommets 2004 avec son Château Montus, Alain Burmont avait expérimenté l’effet de l’altitude il y a quelques décennies. D’une part sur la vinification en faisant grimper par hélicoptères quelques cuves dans les Pyrénées en haute altitude - avec 100% d’échec parait il - et d’autre part d’élevage sur son millésime 1994. Jonquères d’Oriola, domaine familial du Roussillon adepte des cuvées atypiques, a également tenté, après le tour du monde en bateau en 2018, l’expérience montagnarde pour sa cuvée 100% Marselan 2021, élevée à 1800 mètres d’altitude. Une dégustation croisée entre vin élevé en montagne et en bord de mer donnait plus de souplesse et de maturité à la cuvée “mer” tandis que la cuvée élevée en montagne paraissait plus jeune avec des notes de fruits frais, poivrées et mentholées.

En Roussillon toujours, Frédérique Vaquer, une bourguignonne qui a repris le domaine de son beau-père Fernand, ancien rugbyman, veille sur le joli trésor de ce domaine familial qui existe depuis 1912. Les vins du siècle précédent issus de vendanges manuelles et d’un élevage de 2 ans en cuve de ciment partaient ensuite, avant mise en bouteille, prendre l’air près de Font-Romeu à 1300 mètres d’altitude. Un élevage atypique imaginé par ce beau-père pionnier en son temps qui permet de savourer ces cuvées anciennes dotées d’une certaine jeunesse, de tanins fondus et de senteurs animales et de sous-bois. Comme une promenade en forêt de Cerdagne !

Elevage pyrénéen d'une vieille cuvée du Domaine Vaquer
Elevage pyrénéen d'une vieille cuvée du Domaine Vaquer

A Estaing, la cave coopérative Les Vignerons d’Olt, qui regroupe 7 producteurs de cette appellation confidentielle de 20 hectares, innove dans ses élevages avec une cuvée plongée dans un barrage et une cuvée Ardoisières élevée dans une ancienne galerie d’extraction de lauzes mais aussi une cuvée Buron qui après un séjour à 1300 mètres d’altitude montre une évolution ralentie. L’altitude semble donc agir comme une cure de jouvence pour les vins. A mettre en perspective avec l’effet de l’altitude sur l’humain : un grand bol d’air mais aussi une assimilation plus rapide de l’alcool avec un effet euphorisant du vin plus rapide. On veillera donc à consommer avec modération en altitude et à laisser aussi aux vins montés en altitude (pour y être bus ou parce qu’ils y ont été élevés) le temps de retrouver leur équilibre et complexité.

Si le sujet vous a intéressé, vous serez aussi intéressé par notre article sur les cépages qui prennent de l'altitude.

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