Vis ma vie de dégustateur au Concours Mondial de Bruxelles #1

Vis ma vie de dégustateur au Concours Mondial de Bruxelles #1

Il est l’un des concours de dégustation les plus prisés par les dégustateurs et les vignerons de la planète vin. Le Concours Mondial de Bruxelles a fêté sa 30ème édition il y a quelques jours dans la splendide région viticole d’Istrie, en Croatie. Pour Toutlevin, j’ai eu la chance d’y participer et de vivre une expérience unique, intense, passionnante. C’est un long roman, c’est une belle histoire…

La grande famille des 320 dégustateurs - Crédit photo : CMB
La grande famille des 320 dégustateurs - Crédit photo : CMB

… c’était sans doute un jour de chance (…) un cadeau de la providence. Je vous épargnerai la version chantée, n’est pas Michel Fugain qui veut ! En revanche, je suis plus à l’aise pour conter les histoires. Il y a quelques semaines, je participe comme sommelier à la session Rosés du Concours Mondial de Bruxelles au siège des IGP Pays d’Oc dans l’Hérault. Pour une fois, je suis de l’autre côté de la barrière : je sers les dégustateurs, je les écoute commenter les vins, débattre sur l’acidité, l’équilibre, les tanins, la fraîcheur, imaginer la provenance (car tout se fait évidemment à l’aveugle !).
L’expérience est passionnante. C’est là que je rencontre Benoit Roumet, ambassadeur France du CMB. Est-ce que tu ne voudrais pas tenter l’aventure comme dégustateur ?, me lance ce dernier. Comment refuser ? Quelques semaines plus tard, je reçois The mail, le Saint-Graal numérique. Ce sera donc la Croatie pour la session des blancs et des rouges cette fois-ci.
Le 10 mai, l’atterrissage à Venise est chaotique, le stress monte, j’ai les jambes qui gondolent… Trois heures de bus plus tard, nous voilà à Porec, en plein cœur de la péninsule d’Istrie, l’une des plus anciennes régions viticoles d’Europe dont la majeure partie se trouve en Croatie (le reste est en Slovénie et en Italie). Un saut dans l’inconnu à défaut d’eau turquoise, le temps n'étant pas au rendez-vous.

Malvasia Istriana et Teran comme cépages emblématiques d’Istrie

Tout juste installé dans nos chambres d’hôtel respectives qu’il est déjà temps d’une petite explication de texte signée Caroline Gilby : C’est la plus petite région viticole de Croatie, 3010 ha sur les 17600 du pays, mais elle est l’une des plus réputées, confie la Master of Wine anglaise. « Et c’est aussi l’une des plus structurées avec une vraie association de vignerons et de producteurs réunis sous la bannière de Vinistra. Son président Luka Rossi enchaîne : L’identité et l’appartenance est très forte ici car la région a été tour à tour sous influence austro-hongroise, italienne puis yougoslave. C’est pourquoi la plupart des gens se sentent plus Istriens que Croates, Slovènes ou Italiens.

A peine arrivé en Croatie, on découvre les cépages typiques lors d’une masterclass - Crédit photos : Yoann Palej
A peine arrivé en Croatie, on découvre les cépages typiques lors d’une masterclass - Crédit photos : Yoann Palej

La première Masterclass, dirigée par le journaliste suisse Pierre Thomas, nous ouvre ensuite le palais sur les deux cépages emblématiques de la péninsule : la Malvasia Istriana (Malvazija istarka) et le Teran. Le premier est un cépage blanc qui offre différents styles : des vins tout en peps, en acidité, en tension et en salinité appelés fresh Malvasia. Des vins passés en barrique plus complexes nommés aged Malvasia mais aussi des vins orange, des vins doux et même des bulles. Le deuxième est un cépage rouge assez rustique voire austère (je précise que ce n’est pas péjoratif !) comme certains vins italiens ou le Nielluciu. C’est un vrai cépage local qui occupait plus de 80% du vignoble au 19ème siècle, détaille Luka Rossi. Bien vinifié, il livre des vins profonds, fruités, corsés et d’une fraîcheur insolente.

320 dégustateurs, 50 nationalités, 7504 vins !

Sur la route qui mène à Vodnjan-Dignano, impossible de ne pas remarquer la terre rouge feu, une argile chargée de fer qui jonche le sol de chaque are de vigne et d’oliveraie. L’après-midi est d’ailleurs consacré à une autre production emblématique : L’olivier est cultivé depuis l’Antiquité en Istrie, notamment du côté de Motovun et Grožnjan, explique un producteur local. Notre huile est régulièrement récompensée dans les grands concours et compte parmi les meilleures du monde. La dégustation confirme la tendance.

Au départ du port de Fazana, direction les iles Brijuni où l’on trouve de drôles de bêtes… Crédit photos : Yoann Palej
Au départ du port de Fazana, direction les iles Brijuni où l’on trouve de drôles de bêtes… Crédit photos : Yoann Palej

Le repas englouti, direction les îles Brijuni. Un endroit hors du temps devenu parc naturel protégé que le maréchal Tito, président communiste de la Yougoslavie entre 1953 et 1980, avait transformé en un paradis privé pour accueillir les grands de ce monde, les stars internationales et un parc animalier assez particulier où les zèbres cohabitent avec des autruches, des lamas et un… éléphant. Irréel !
Le lendemain matin, on entre dans le vif du sujet au cœur du Parc des sports Zatika. L’entrée dans l’arène est impressionnante, 58 tables sont disposées méticuleusement pour accueillir les 320 dégustateurs de 50 nationalités différentes qui vont juger 7504 vins sur trois matinées. C’est toujours la même effervescence malgré les années, confie Baudouin Havaux, le directeur général de Vinopres, papillons dans le ventre. On a beau avoir l’habitude, chaque édition est un éternel recommencement et un nouveau défi à relever.

La première édition du CMB en 1994 à Bruges

Beaucoup se connaissent de longue date, les retrouvailles sont chaleureuses. Ce qui me frappe d’entrée, c’est la logistique sur place, tout est millimétré, encadré : on sent une vraie expertise. Puis vient l’heure de découvrir mes partenaires de jeu, le jury numéro 10 est international à bien des égards :
- Carien Cotzee, célèbre œnologue sud-africaine (présidente du jury),
- Susana Molina, journaliste espagnole,
- Joao Chambel, sommelier portugais de renom,
- Eric Boschman, journaliste belge reconnu à la bonne gouaille
- Claude James, un acheteur français sous bannière japonaise

La dynastie Havaux réunie sur cette photo, Quentin, Louis et Baudouin (de g. à d.) - Crédit photo : CMB
La dynastie Havaux réunie sur cette photo, Quentin, Louis et Baudouin (de g. à d.) - Crédit photo : CMB

Chacun se présente en anglais, j’ai les mains moites mais la team est charmante, rassurante. Devant moi, une tablette tactile et un clavier font office de fidèles compagnons. Reste à en faire bon usage.
Le cérémonial donne d’abord lieu à une scène émouvante : Louis Havaux, 87 ans, qui a lancé la première édition du CMB à Bruges en 1994, Baudouin, son fils et Quentin, son petit-fils, sont longuement applaudis par l’assemblée. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice, explique le plus jeune des trois. C’est une fierté de continuer à capitaliser sur cet événement devenu incontournable !

Des vins d’Autriche, de Toscane, de l’Alentejo, de Sicile, de Bordeaux…

Soudain, une musique lance le balais des sommeliers. On reçoit d’abord 2 vins de calibrations pour donner le tempo, un blanc et un rouge. Il est temps de prendre en main le système de notation et de bien rentrer mes commentaires de dégustation. Une des dernières nouveautés avec l’utilisation de l’intelligence artificielle. C’est primordial de s’appliquer sur le fond et sur la forme, explique Julien Laithier, le président de la talentueuse entreprise bordelaise, Wine Space. Tous ces résultats et ces données sont ensuite compilés via un logiciel d’IA et traduites en langage informatique.
Une fois analysées, ces datas serviront grandement à livrer un feedback aux vignerons et aux producteurs.
Là encore, le CMB montre qu’il peut avoir un coup d’avance sur les autres concours. Aujourd’hui, il y a des dizaines de concours à travers le monde et pour se différencier, il faut innover et avoir le regard qui porte loin, prolonge Quentin Havaux.

Les 320 dégustateurs du CMB réunis dans le parc des sports de Porec - Crédit photo : CMB
Les 320 dégustateurs du CMB réunis dans le parc des sports de Porec - Crédit photo : CMB

De retour sur ma tablette, je me concentre, les vins défilent en cadence, le jury numéro 10 a trouvé un rythme certain. Une première série de 9 vins blancs puis une deuxième avant trois séries de rouge. En tout, 40 vins dégustés et la fameuse fiche de compte-rendu que chaque dégustateur reçoit à l’issue de la matinée. Les jeux sont faits : des blancs de Castille, des rieslings, des pinots gris et des sauvignons d’Autriche, des Graves de Bordeaux, des rouges de Toscane : un vrai tour d’Europe. Ce premier jour, je suis épargné, certains de mes compatriotes vont avoir droit à quelques ovnis (objets vineux non identifiés !). N’est pas chanceux qui veut…

Crédit photo de couverture : CMB

Découvrez la partie 2 des aventures de Yoann en tant que dégustateur au CMB avec son article Toutlevin : Vis ma vie de dégustateur au Concours Mondial de Bruxelles #2 !

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