Conversation avec Guillaume Gomez, représentant du Président de la République pour la gastronomie et l'alimentation

Conversation avec Guillaume Gomez, représentant du Président de la République pour la gastronomie et l'alimentation

Guillaume Gomez est Représentant Personnel du Président de la République pour la Gastronomie et l’Alimentation. Je l’ai rencontré il y a quelques mois, l'occasion d’échanger sur ses dernières années au service de la gastronomie française.

Portrait de Guillaume Gomez
Portrait de Guillaume Gomez

Miss Vicky Wine : Comment devient-on conseiller gastronomique à l’Elysée en quelques mots ?

Guillaume Gomez : Bien sûr je conseille le Président, mais mon rôle est celui d’être ambassadeur de France pour la gastronomie, au sens très large du terme. Cela va du travail des sols jusqu’à la mécanisation des déchets. C’est toute la programmation de la gastronomie, de nos artisans, nos vignerons, nos maîtres d’hôtel, l’art de la table etc. Je travaille avec les ambassades, les consulats, pour faire rayonner la gastronomie dans le monde.

Je suis aussi le représentant personnel du Président de la République, son lien direct envers tous les acteurs de la gastronomie. Je lui fais remonter des informations, des notes, des problématiques que ce soit de la production, la distribution, des normes environnementales ou plus spécifiquement sur le vin, par exemple : le prix des containers, la transmission du patrimoine agricole. J’alerte, je conseille, je préviens pour qu’on puisse ensuite trouver des solutions.

Si tu veux faire ça, il faut de l’expérience dans plusieurs domaines d’expertise. J’ai aussi travaillé 25 ans dans les cuisines de l’Elysée avec les élus, les sénateurs, les différents ministres.

MVW : Sommes-nous toujours le grand pays du vin et de la gastronomie à l’étranger ?

GG : Oui, sans réfléchir, assurément, l'hégémonie de la gastronomie française dans son ensemble, que ce soit le vin, la pâtisserie, les arts de la table, est reconnue dans le monde entier. Tous les grands chefs du monde, tous les grands pâtissiers du monde, tous les grands vignerons du monde le disent. Et ils ont tous à un moment donné soit appris d’un français soit appris de quelqu’un qui avait appris en France.

En parlant des vins, les meilleurs vins du monde sont en France, ça ne veut pas dire que rien ne va ailleurs, la qualité monte partout, tant mieux, il faut être challengé.

Les goûts évoluent, il faut se remettre en question. Le changement climatique a aussi un impact sur nos productions de vin notamment. Surtout, on se démarque grâce à notre diversité, unique au monde. Il n’y a pas un pays qui sur une si petite surface propose des produits et des recettes si différentes d’est en ouest. Un champagne ça ne ressemble à rien à un Château Rayas. C'est ce qu'ils viennent chercher chez nous. C’est aussi le seul pays qui a une concentration d’autant de grands vins.

MVW : Depuis bientôt 3 ans, tu parcours la France et le monde à la rencontre des acteurs. La colère des agriculteurs, et des vignerons, face à la concurrence internationale, tu dois la rencontrer souvent en chemin. Comment apaises-tu les peurs ?

GG : Déjà bien sûr, il y a de la compassion, parce que quand je rencontre un vigneron qui est au désespoir, qui a de la colère, il faut la comprendre cette colère. C’est un ressenti, du réel, du vécu depuis de longues années. Ensuite il faut essayer de trouver des solutions avec ceux qui veulent y travailler. En offrant de nouveaux débouchés, en allant convaincre un à un les chefs, les consommateurs…

Aujourd’hui, les premiers sont les bouchers qui ont fait un travail énorme pour s’écouter et se parler. L’école de la boucherie était vide il y a 15 ans et aujourd’hui c’est eux qui ont travaillé sur la filière animale, le concept de flexitarisme. Ceux qui ont réussi à augmenter la qualité réussissent et sont aujourd’hui mieux récompensés que dans le passé où leurs produits n’étaient pas valorisés. Ce n’est pas la solution pour tout mais ça peut marcher.

Il y a des réalités de force de travail aussi, les jeunes ne veulent pas travailler comme leurs parents et grands-parents, et trouvent des solutions pour s’associer. La concurrence est mondiale donc il faut pouvoir répondre à ça aussi.

Acheter local apparaissait comme une régression il y a 15 ans puis est devenu une solution qui s’est ancrée dans l’air du temps. Le bio aussi et c’est là que nos agriculteurs sont les meilleurs. On a la plus belle agriculture du monde et on n'a pas à coller aux standards internationaux et rabaisser notre qualité. Il faut exporter des produits de qualité, exporter nos pratiques, créer de la valeur ajoutée. On ne sera jamais compétitifs sur des produits médiocres, dans le monde quand on importe du français, on importe de la qualité. Dans le vin, les vignerons réfléchissent aussi à tout ça, d'où vient la colle, d'où vient le verre, quel est l'impact du transport ?

Ceux qui font le plus d’efforts ce sont nos agriculteurs, c’est par le monde agricole qu’on aura cette solution mais le consommateur est encore schizophrène dans l’acte quotidien en refusant les pesticides mais en achetant des cerises de Turquie.

Le changement ne viendra que du collectif. Est-ce que ce que je consomme est bon pour moi ? Pour celui qui le fait ? En répondant non et en achetant quand même, je ne vais pas dans le bon sens. Un bout de chocolat de temps en temps oui, mais un poulet du Brésil, un vin de Nouvelle-Zélande tous les jours, je peux pas dire que ce n’est pas de ma faute. Il faut un juste milieu. A quel moment on s’est dit qu’on allait transporter de la viande sur 20 000 kms, boire du jus d’orange toute l’année ? A quel moment on n’a pas réfléchi à l’impact environnemental ? Au coût sociétal ?

MVW : La tendance est à plus de végétaux et moins d’alcool, est-ce que ça se ressent sur tes chemins de croisades ? Comment est-ce que ça va affecter la gastronomie française ?

GG : Je suis plutôt quelqu'un de positif, c’est un nouveau cahier des charges à prendre en compte, moins violent pour les vins qu'à l’époque du phylloxéra. Oui aujourd’hui il y a une demande de sans alcool. Les premiers sont les brasseurs à être allés sur ce marché. Aujourd'hui il existe des vins désalcoolisés qui amènent une qualité qui, pour celui qui ne boit pas d’alcool, se rapproche de ça. Des maisons comme Taittinger même s’y sont mis. Donc oui il y a une demande, et soit le monde du vin laisse ça aux thés et jus de fruits, soit le vin se lance. Ce qui permet aussi de lier un univers gastronomique à toute une population mondiale qui ne boit pas d’alcool.

Guillaume Gomez, élu chevalier de l'ordre du mérite
Guillaume Gomez, élu chevalier de l'ordre du mérite

MVW : Meilleur ouvrier de France à 25 ans, puis chevalier de l’ordre du mérite en 2012. Tu étais aussi dans les cuisines de l’Elysée à 19 ans. Comme le vin ou la moutarde, est-ce que ça ne monte pas à la tête ?

GG : Je ne pense pas, j’ai aussi prouvé durant toutes ces années que j’avais intégré la responsabilité du poste, fait en sorte de mettre les autres en avant et surtout : j’en suis sorti. Je suis arrivé pour faire mon service militaire, je ne pensais pas y rester. J’ai découvert un univers et quand tu sers ton pays, c’est forcément grisant. J’ai eu la chance de vivre une expérience. Tu es au plus près des gens, des producteurs, je me suis plutôt servi de ma place pour les servir et apprendre.

Un jour avant que ça monte à la tête, j’ai décidé de partir et le Président m’a proposé ce poste d’ambassadeur. L’expérience de mes prédécesseurs était aussi celle de cuisiniers avec les pieds sur terre et les mains dedans. Je suis le plus jeune lauréat de l’Histoire dans la cuisine mais avant Nicolas Sarkozy personne n’avait entendu parler de moi. Ce sont les professionnels de la communication qui m’ont appris à porter les messages qui sont les nôtres. J’ai toujours dit au Président quand j'étais d’accord ou pas et j’ai pu porter des messages, mettre en avant les chefs et les artisans.

Les femmes et hommes qui travaillent à la présidence de la République, ce sont des gens qui font ce qu’on attend d’eux, c’est déjà un signe d’humilité. Sinon ils s’en vont.

Guillaume Gomez, meilleur ouvrier de France
Guillaume Gomez, meilleur ouvrier de France

MVW : Tout de suite tu arrives en cuisine à l’Elysée (1997), 4 présidents, 4 interprétations ? Comment as-tu vu la place du vin évoluer ? Les préférences du Président ont-elles une influence ?

GG : Bien évidemment. On ne fait pas la cuisine qu’on veut mais celle qu’on attend de nous. Jacques Chirac préférait la bière ou le cidre au vin, Nicolas Sarkozy ne prenait pas une goutte d’alcool mais c’est lui qui a commencé à mettre la gastronomie en avant, le premier à recevoir des chefs étoilés à l’Elysée. François Hollande buvait raisonnablement, on n’en parlait pas particulièrement.

Emmanuel Macron est le Président de la Vème qui a le plus mis la gastronomie et le vin en avant en recevant les vignerons, sommeliers et chefs à l’Elysée. Il a été élu “Homme de l’année” de la Revue des Vins de France, c’est le seul Président qui s’est exprimé dessus. Il a dit “avec Brigitte, on met du vin à chaque repas”, il aime le vin et découvrir. On ne compte plus les déplacements du Président et des ministres dans le vignoble et même le monde du vin a changé. Le sujet du Cognac dumping par exemple a été géré directement par le Président.

Dans la cave de l’Elysée, il y a toujours eu toutes les régions de France, quelles que soient les préférences du Président. Avant c’était toujours un grand Champagne, un grand Bourgogne blanc, un grand Bordeaux rouge, peu importe le plat. Ça a changé, il y a un travail qui est fait sur l’accord avec un Alsace, un Saumur par exemple. Avant on n’aurait jamais donné un Châteauneuf à une Reine ou un Président.

Guillaume Gomez avec Emmanuel Macron
Guillaume Gomez avec Emmanuel Macron

VMW : Même en cuisine, tout est politique. Qui se concerte pour le menu adapté à chaque situation ?

GG : C’est assez facile, tout est organisé. Depuis Talleyrand (congrès de Vienne), la cuisine et la diplomatie font bon ménage. Il y a le service du protocole qui est en contact avec le service du protocole étranger qui s’informent sur les préférences. On propose un menu qui est ensuite validé par les invités.

MVW : Quand on reçoit des invités de marque, on sort de grands vins français ? Est-ce qu’il arrive de sortir des vins du pays invité ? Ou d’interpréter sa cuisine ?

GG : Jamais ou presque, la volonté jusqu’à présent est de se dire que la cuisine, la table et la cave de l’Elysée doivent être la vitrine de la gastronomie et des vins français. On peut par contre faire des clins d'œil dans le menu, toujours en restant sur une cuisine française.

MVW : Comment sont choisis les vins qui entrent dans la cave de l’Elysée ?

GG : De plusieurs façons, les vins sont envoyés au Président par les vignerons, ou il y a des appels d'offres pour les quantités importantes, et puis la sommelière goûte aussi des vins avec les vignerons, comme dans un restaurant.

MVW : On est dans une société qui fait de plus en plus attention à la consommation d’alcool. Le vin est souvent en ligne de mire. Comment concilier tradition et actualité ? Le vin à table à l’Elysée, à tous les repas ?

GG : Non, à l’Elysée ou ailleurs, il faut bien une consommation raisonnée. Au palais, les verres ne sont pas très grands, c’est servi, ça va très vite : un dîner d’état dure une heure. Dès qu’on change de plat, on sert le vin suivant. La plupart des repas sont des dîners et déjeuner de travail, les gens ne sont pas là pour faire bombance. C’est comme un déjeuner dans une entreprise.

MVW : Qu’est-ce que tu voulais faire quand tu étais petit ?

GG : Cuisinier. J’ai la chance de toujours avoir su ce que je voulais faire.

MVW : Qu’est-ce qui est rentré dans ta cave récemment ?

GG : Le domaine de Panéry, à Uzès en blanc et rouge. J’ai dégusté sur des salons et je connais bien le domaine Chabrier qui fait “La Garrigue”, à côté. C’est bon, il faut en avoir dans sa cave ! Des vins chaleureux et agréables qu’on peut boire tout de suite. Les Uzès sont des vins qui plaisent à tous, amateurs ou néophytes.

Crédits photos : Guillaume Gomez

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