Pourquoi les caves coopératives ont le vent en poupe ?

Pourquoi les caves coopératives ont le vent en poupe ?

Autrefois symboles de la viticulture de masse et pourvoyeurs de vins de table à la qualité inégale, les caves coopératives ont changé de cap à l’orée du 21ème siècle. Si la solidarité et la cohésion font toujours partie des valeurs intrinsèques de la coopération, l’innovation, l’ambition et l’exigence sont venues dépoussiérer une image désuète grâce à des locomotives qui ont pris le train de la modernité.
Aujourd’hui, armées techniquement et humainement, elles sont en plein renouveau. Exemple avec quatre entités qui ont mis le cap sur la qualité, le respect de l’environnement et le savoir-faire collectif.

La Cave de Tain en Vallée du Rhône

C’est l’histoire d’une coopération qui n’a plus à rougir de sa production. Bien au contraire. L’usinage à vins médiocres des années 70/80', tant décriée, a fait place à une dynamique collective autour de méthodes communes innovantes. Résultat, aujourd’hui, les coopératives pèsent lourd dans la balance économique en tant qu’acteur majeur avec 48% de la production nationale commercialisable (hors Charentes).
La coopération vinicole totalise 570 caves et unions, et emploie 16120 salariés (chiffres 2019 selon le rapport d’activité de la coopération agricole) dans tous les bassins de France, particulièrement dans le Languedoc-Roussillon, la Vallée du Rhône, la Provence et la Champagne.
Mais au-delà d’une présence enviable sur le marché français, c’est tout une façon de produire qui a été repensée. On a longtemps cru que le modèle économique client/fournisseur était le seul viable mais le négoce était un vrai écran de fumée, constate Xavier Gomart, le directeur de l’emblématique Cave de Tain qui fait vivre plus de 400 familles dans la Vallée du Rhône. Le passage à la bouteille a permis la création d’une vraie identité et d’en finir avec cette mauvaise image de marque de la viticulture coopérative. Aujourd’hui, nous sommes les rois du pétrole !

La cave de Ribeauvillé en Alsace

Après tout, qui connaît mieux ses vignes que l’adhérent coopérateur qui est là depuis des dizaines d’années et qui a intérêt à produire de la qualité pour mieux valoriser son produit ? prolonge Yves Baltenweck, le président de la cave de Ribeauvillé en Alsace. La coopérative la plus ancienne de France, créée en 1895, est une petite entité (240 ha pour 40 adhérents) qui a bénéficié d’un directeur visionnaire et d’une structure collective soudée pour se tailler une solide réputation. On sait où l’on va, il n’y a pas de pluriactif chez nous, poursuit-il. C’est plus facile de fédérer quand les valeurs sont les mêmes.

Les fameuses vignes en coteaux de la Cave de Tain, l’un des fleurons de la Vallée du Rhône - Crédit : Cave de Tain
Les fameuses vignes en coteaux de la Cave de Tain, l’un des fleurons de la Vallée du Rhône - Crédit : Cave de Tain

Engagement vertueux et affinage de la qualité

La Cave des Vignerons des Terres Secrètes dans le Mâconnais

Un constat partagé par Michel Barraud, le président de la Cave des Vignerons des Terres Secrètes, dans le Mâconnais, tout juste élue Groupement de vignerons de l’année par la Revue du Vin de France : On a une chance incroyable de disposer de vignerons passionnés, très présents et qui ont surtout une science des terroirs assez unique. C’est à nous de sublimer ce travail et d’en tirer la quintessence.

En 1998, cette coopérative produisait 80% de ses volumes en vrac, le reste en bouteille. Aujourd’hui, c’est l’inverse, prolonge Michel Barraud. Qualitativement, on a fait un gros travail notamment grâce aux investissements techniques et humains. Suivi du vignoble, relation avec les adhérents, certification environnementale, la coopérative, née de la fusion de trois entités, s’est donnée la chance d’un avenir radieux malgré l’imposante Bourgogne du Nord.

La cave de Dom Brial dans le Roussillon

Dans le Roussillon, Dom Brial (220 coopérateurs) est une locomotive qui fait aussi parler à l’étranger. Elue pour la 3ème fois consécutive Meilleure cave coopérative de France au Berliner Wine Trophy, le géant catalan, quasi centenaire (la cave a été créée en 1923 !), a toujours été précurseur. On a rapidement compris, dans les années 90, qu’il fallait changer de cap, détaille André Serret, le directeur général depuis 1994. On a débuté les sélections parcellaires pour affiner la qualité et on a mis en place un cahier des charges plus strict et ambitieux afin d’avoir une vraie traçabilité de nos vignes.

Diagnostic, audit, plan d’actions, suivi et évaluation régulière font partie du quotidien de la coopérative qui a été à l’origine d’un label vertueux aujourd’hui reconnu de tous, Vignerons engagés dont la Cave de Tain et les Vignerons des Terres Secrètes font partie. Quant à la Cave de Ribeauvillé, élue meilleure cave de France en 2016, elle n’est pas en reste puisqu’elle a été l’une des premières dans l’Hexagone à être labellisée HVE (Haute Valeur Environnementale) en totalité en 2019.

Créée en 1895, la cave de Ribeauvillé est la plus ancienne de France - Crédit photo : Cave de Ribeauvillé
Créée en 1895, la cave de Ribeauvillé est la plus ancienne de France - Crédit photo : Cave de Ribeauvillé

La coopération, c’est une grande famille !

Pour changer de cap, il a fallu des capitaines de route à l’écoute et une volonté de monter en gamme. La coopération, c’est une grande famille, comme un pack d’avant dans le rugby, une véritable locomotive pour faire avancer l’équipe, précise Xavier Gomart. Grâce à cette vision à long terme, les coopératives ont grandi et sont devenues le fil conducteur d’une activité rémunératrice qui a choisi de valoriser la bouteille. Mais il ne faut pas oublier qu’elles ont toujours été en avance.

S’adjoindre des compétences, payer le matériel en commun, se donner accès à tous les terroirs, valoriser le travail collectif, il fallait voir loin pour tout mutualiser. Si on analyse bien, la coopération a toujours eu un coup d’avance techniquement parlant, ajoute le directeur de la Cave de Tain. Elle a été la première à se payer des œnologues et des agronomes. Pas si has been que ça !

Pour se désengager au fur et à mesure du négoce et créer sa propre identité, certains ont fait un choix radical. Dans le Maconnais, la fusion des trois caves a abouti à la création de la marque Vignerons des Terres Secrètes, créée en 2007, qui a permis de changer l’image commerciale de l’entreprise. S’il a fallu un temps d’adaptation pour que les adhérents se l’approprie, elle a permis de développer le marketing et surtout de concentrer le savoir-faire de nos vignerons et de révéler les trésors du Maconnais au-delà de nos frontières. Au final, l’important est de fédérer autour d’un beau projet, ambitieux et rémunérateur, commente Michel Barraud.

D’autant que la qualité est désormais au rendez-vous. Les vins sans sulfites, les vins bios et les sélections parcellaires ne sont plus une incongruité dans le paysage coopératif. Depuis 2001, la cave de Ribeauvillé a validé une charte qualitative imposant vendanges manuelles (sur la totalité de ses 235 ha), traçabilité, limitation des rendements, lutte raisonnée (21% du vignoble en bio en 2020) et multiplication des parcellaires mais avec une valorisation attractive pour les adhérents. Tout le monde a opté pour la qualité parce que ça rapporte, confirme Yves Baltenweck. Quand on fait des produits sur mesure (plus de 80 cuvées annuellement), c’est plus facile de les valoriser ! Le Riesling 2017 Silberberg de Rorschwihr illustre bien cette trajectoire qualitative.

La Cave de Dom Brial est pionnière dans la création du label Vignerons Engagés. A gauche : François Capdellayre, le président et à droite André Serret, le directeur - Crédit photo : Dom Brial
La Cave de Dom Brial est pionnière dans la création du label Vignerons Engagés. A gauche : François Capdellayre, le président et à droite André Serret, le directeur - Crédit photo : Dom Brial

Parole à la jeunesse et aux parcellaires

On a compris qu’il fallait produire ce que l’on sait vendre, renchérit André Serret. Il a fallu s’adapter au marché et bouleverser l’organisation des caves, un long travail de fond qui porte aujourd’hui ses fruits. Dom Brial affiche 13 millions de CA et propose plus de 70 lignes de rémunération afin de valoriser ceux qui travaillent bien. Le Mirade Rouge 2019 (AOP Côtes du Roussillon Villages) est justement un bel exemple du travail parcellaire des vignerons et de l’engagement dans la certification Vignerons Engagés.

La coopérative a vraiment évolué dans le bons sens. On n’est pas assez fiers, il faut bomber le torse, claironne Xavier Gomart en présentant la cuvée Les Hauts du Fief 2017 en Crozes-Hermitage qui n’est pas réalisée tous les ans mais seulement quand le millésime le permet. La richesse de la Cave de Tain sur cette appellation est d’être le premier producteur (38%), dévoile David Quillin, son ambassadeur. Cela nous donne accès à une variété incroyable de terroirs et nous avons donc réalisé sur ce millésime environ 50 micro-sélections. Un travail de fourmi rendu possible grâce aux 11 millions d’euros investis dans une nouvelle cuverie et un chai flambant neuf en 2014.

C’est également dans cette volonté de sublimer son terroir que les Vignerons des Terres Secrètes ont sorti la cuvée Révélis en 2017. La réalisation de cette nouvelle cuvée a pour point de départ le constat suivant : pas de grands vins sans grands terroirs, argumente Michel Barraud. Plusieurs mois de réflexions et d’analyses de sols ont été nécessaires pour définir l’assemblage de ce vin issu de cinq climats de l’AOC Saint-Véran.

Une cuvée née sous l’impulsion d’un groupe de jeunes adhérents. Depuis 7-8 ans, beaucoup de trentenaires s’installent et apportent un regard nouveau sur la coopération, remarque Michel Barraud. Un dynamisme décomplexé qui fait des petits. En Alsace, la Cave de Ribeauvillé a pris un tournant via l’œnotourisme, la communication et l’engagement vertueux. Ils sont bien encadrés par les anciens et ça crée une belle émulation, applaudit Yves Baltenweck. A Tain l’Hermitage, on les accompagne même pour qu’ils s’installent en prenant en charge, par exemple, les vignes, dans le cadre d'un groupement foncier viticole (GFV). Une commission a même été créée pour recruter et conseiller de nouveaux adhérents, mais on ne veut pas trop grossir, prévient Xavier Gomart. L’enjeu est de taille, continuer à grandir tout en restant à dimension humaine. N’oublions pas que les adhérents sont des vignerons à part entière et pas simplement des apporteurs de raisins, conclut André Serret.

Visuel de couverture : La Roche de Vergisson, l’un des emblèmes de la Cave des Vignerons des Terres Secrètes - Crédit photo : Aurélien Ibanez SMGS

Lisez aussi notre article : La révolution des caves coopératives

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