La dégustation à l’aveugle

La dégustation à l’aveugle

Parfois mystérieuse, toujours surprenante, la dégustation à l’aveugle est un exercice complexe, qui permet de déguster un vin en toute objectivité. Toutlevin vous dévoile les clefs et l’intérêt de cette pratique, habituelle lors des jurys et concours, qui se révèle un excellent exercice pour tout dégustateur, expert ou amateur.

Des bouteilles sagement alignées dans leur fourreau noir. Des tables blanches dans une salle blanche. Crachoirs, serviettes, carafes d’eau et verres dits “DNO”, bloc-notes et stylos. Une dégustation de vins à l’aveugle se prépare. L’ambiance est studieuse, voire monacale, en tout cas sérieuse. Car la dégustation est une affaire sérieuse surtout quand il y a un enjeu. Celui d’un concours, d’une médaille, pour le vin ou le dégustateur. Et même pour le plaisir de la découverte et d’un exercice informel : la dégustation de vins demande concentration et encore plus si c’est à l’aveugle et en série.

Une dégustation à l‘aveugle, c’est quoi ?

C’est un exercice classique dans le milieu professionnel du vin. Il s’agit de déguster un ou plusieurs vins sans savoir de quel vin il s’agit. A la différence d’une “verticale” (dégustation d’un même vin sur plusieurs millésimes) ou d’une “horizontale” (dégustation de plusieurs vins du même millésime issus d’une même appellation par exemple), la dégustation à l’aveugle peut couvrir plusieurs domaines, plusieurs appellations, plusieurs millésimes, le critère de base étant qu’on ne sait pas ce qu’on boit. La bouteille et l’étiquette sont ainsi cachées. Le défi allant même parfois jusqu’à déguster dans le noir ou dans un verre noir. Occultant ainsi l’appréciation visuelle, la vue étant le premier sens sollicité lors d’une dégustation.

Crédit photo Les Frères Patacq
Crédit photo Les Frères Patacq

A l’aveugle : 3 sens et 1 ressenti

Car une dégustation, à l’aveugle ou non, mobilise plusieurs sens et passe par un rigoureux examen visuel, suivi d’un examen olfactif et enfin un examen gustatif. Le tout est dûment noté, annoté par chaque dégustateur qui donne ensuite une appréciation globale, éventuellement une note, parfois un classement.
La complexité particulière de la dégustation à l’aveugle est qu’on ne sait pas ce qu’on boit et qu’il n’y a donc aucune influence de “l’étiquette” et de son éventuel prestige ou des connaissances qui y sont associées (cépages, appellation, terroir, vieillissement, niveau qualitatif présumé). Seuls comptent ici la dégustation et les qualités du vin… et du dégustateur. A l’aveugle, certains dégustateurs chevronnés parviennent à reconnaitre tel domaine, telle “patte” de vigneron ou d’œnologue, parfois un millésime illuminé dans telle région par le soleil ou un climat particulier.

Plus facilement, d’autres parviennent à identifier un cépage, une appellation, la présence d’arômes liés à telle méthode d’élaboration, d’élevage. Comme pour toute dégustation, le talent et l’expérience du dégustateur font la différence dans la finesse de l’appréciation et de l’identification : avoir dégusté certains vins remarquables laissent des souvenirs qui permettront de les reconnaitre instantanément la prochaine fois.
La plupart vont reconnaitre les arômes primaires, secondaires, tertiaires, le bois ou son absence et parfois jouer aux devinettes. Avec souvent des surprises !

Une dégustation à l’aveugle entre pros : un vrai partage d’expériences

A Toulouse, les Frères Patacq ont récemment organisé une dégustation à l’aveugle en petit comité. Dans les locaux de ce cabinet de conseil toulousain spécialisé sur l’agro-alimentaire et fondé par deux frères issus d’une famille de producteurs de haricots tarbais, on aime le vin et le monde vigneron, bien connus notamment du troisième frère, diplômé DipWSET. Commentée par ce spécialiste, la dégustation, qui réunissait quelques experts venus de différents horizons et pays, a permis de (re)découvrir, parfois avec surprise, quelques cuvées, domaines, appellations et même méthodes de vinification atypiques. Trois domaines étrangers, la Bodega Vega Sicilia sur l’appellation Ribera del Duero en Espagne, Catena Zapata à Mendoza en Argentine et la famille Henschke en Australie, ont donné un aperçu des vins rouges de l’Ancien et du Nouveau Monde, purs Tempranillo, Malbec ou Syrah (préphylloxérique).

Côté français, trois vins, rouges toujours, ont révélé la diversité des vins de l’hexagone, provenant de grands noms comme le Château Beaucastel en Châteauneuf du Pape ou le Cos d’Estournel en Saint Estèphe mais aussi un (grand) vin atypique avec le New Black Wine élaboré par la famille Baldès du Clos Triguedina : cette cuvée remet à l’honneur une méthode du Moyen-Age avec une part de la vendange qui est asséchée et concentrée dans un ancien four à pruneaux. Nez de prune et de mûre, taux de glycérol augmenté, une bouche sur le tabac et le cacao, une touche d’épices : les commentaires de dégustation ont été foisonnants et enthousiastes, les échanges ont été riches mais personne n’a su identifier cet OBNI (Objet Buvable Non Identifié)…

Crédit photo Les Frères Patacq
Crédit photo Les Frères Patacq

Un outil marketing pour les vignerons

La dégustation à l’aveugle peut donc surprendre experts et néophytes et elle invite aux échanges et au débat et c’est là aussi tout son attrait, en plus d’exercer ses talents de dégustateur. Pour les vignerons, c’est aussi un gage de qualité et une bonne note lors d’une dégustation à l’aveugle peut devenir un vrai outil de communication et une arme marketing. “Un vin est l’émanation de la vision et du travail d’un vigneron qui sont souvent ardus justement au travail mais taiseux. La dégustation à l’aveugle permet de repositionner un vin à sa juste place en occultant le prestige des appellations et étiquettes. Lors de la dégustation organisée à Toulouse, le New Black Wine a ainsi clairement validé sa place parmi les grands vins” précise Grégoire Patacq, organisateur de la rencontre.

Une dégustation à l'aveugle à la maison ?

Et si vous organisiez une dégustation à l’aveugle à la maison ? Prenez quelques (bonnes) bouteilles et quelques amis, camouflez les premières, installez les seconds, sortez les verres et les carnets de note.

En fonction de la difficulté souhaitée, il est possible de prendre de bons crus et même quelques piquettes (à l’instar des mini-scandales lors de grands concours), de choisir une couleur ou plusieurs (reconnaitre un vin rouge d’un vin rosé peut ne pas être si facile si on déguste dans un verre noir par exemple), de varier les appellations et les cépages (la typicité de certains arômes variétaux, violette de la Négrette, pomme verte du Mauzac, pierre à fusil du Sauvignon sont facilement reconnaissables) et surtout laisser s’exprimer chacun (les vrais experts, les faux modestes au fin palais, les débutants et ceux qui croient tout (re)connaitre).

A la fin, on dévoile les vins et on finit de savourer en toute connaissance de cause ses favoris. “Grande” ou “petite” étiquette, appellation qu’on croyait ne pas aimer, préjugés tenaces ou jugements sans fondements, la dégustation à l’aveugle lève bien des préjugés.

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