Dans les secrets du bouchon en liège

Dans les secrets du bouchon en liège

Ploup ! Ce bruit de bouchon qui quitte le goulot d’une bouteille de vin vous est certainement familier. En débouchant une bouteille, peut-être ne prêtez-vous pas spécialement attention au bouchon qui l'obture. Et pourtant, il est vital à la bonne conservation du liquide dont vous convoitez la dégustation. Du chêne au goulot, pénétrez dans les mystères de ce bouchon 100 % naturel, le plus utilisé sur la planète.

A l'origine de tout, il y a la nature. Et plus précisément un arbre extraordinaire, seul au monde doté de telles aptitudes : le chêne-liège. Pour recueillir le liège, pas besoin d'abattre l'arbre qui le produit, il suffit d'en ôter l'écorce, qui se régénère ensuite spontanément. Très tôt, le fabuleux potentiel de cette espèce, dont les terres de prédilection se situent à l'ouest du bassin méditerranéen, a été perçu et exploité par l'homme.

L'Histoire du bouchon de liège

Ainsi, au IVème siècle avant notre ère, le chêne-liège était-il déjà utilisé en Egypte, en Chine, à Babylone, chez les Phéniciens, ou encore en Perse, pour la fabrication d'objets variés, notamment destinés à la pêche, mais aussi de bouées ou de chaussures.

Les bouchons en liège : un savoir-faire ancestral
Les bouchons en liège : un savoir-faire ancestral

Ce n'est en revanche qu'un peu plus tard que vin et liège ont commencé à écrire une histoire commune. Des amphores abritant du vin, bouchées au liège, ont ainsi été retrouvées à Ephèse en Turquie au Ier siècle, ainsi qu'à Pompéi.

Plus près de nous, en France, au XVIIème siècle, c'est le moine bénédictin Dom Pierre Pérignon, bien connu des amateurs de bulles, qui s'en est fait le premier ambassadeur, l'employant pour boucher son champagne.

Quelles sont les grandes qualités du liège ?

Rien d'étonnant aux utilisations récurrentes de ce matériau 100% naturel à travers les âges, ses aptitudes intrinsèques le rendant parfaitement adapté au bouchage des contenants les plus variés, pour divers types de boissons (vins tranquilles, effervescents, mousseux ou doux, des spiritueux, bière, eaux minérales...).
Très léger, le liège est aussi flexible et suffisamment élastique pour retrouver sa forme afin de s'adapter à des goulots de tous profils. Neutre en goût, il possède en outre une imperméabilité aux liquides mais une perméabilité maîtrisée aux gaz, laissant subsister la juste dose de micro-oxygénation pour un vieillissement harmonieux des boissons. Et pour ne rien gâcher, il est écologique, entièrement biodégradable et recyclable.

Pas moins de sept pays sont producteurs de forêts de chênes-liège dans le monde
Pas moins de sept pays sont producteurs de forêts de chênes-liège dans le monde

Et dans le monde ?

Ces atouts mis en avant, les forêts de chênes-liège ou subéraies sont exploitées de façon systématique à partir du XVIIIème siècle dans les régions méridionales de la Péninsule Ibérique, Espagne et Portugal, bientôt rejoints au XIXème siècle par la France, l'Italie, la Tunisie, mais aussi par des pays comme la Russie ou les Etats-Unis, qui se lancent dans cette culture. Aujourd'hui, ces forêts occupent 2,28 millions d'hectares dans le monde, répartis dans sept pays producteurs, principalement européens. Elles sont localisées pour plus de moitié au Portugal, qui possède la plus subéraie de la planète (plus de 730 000 hectares, tout particulièrement dans la région de l'Alentejo, au sud du pays) et en Espagne.
Plus accessoirement, des subéraies sont aussi implantées en Afrique du nord (Maroc, nord de l'Algérie et Tunisie), et sur des zones plus restreintes au sud de la France et sur la côte occidentale de l'Italie (Sicile, Corse, Sardaigne).

Le bouchon de liège aujourd'hui

A l'heure actuelle, le bouchon en liège est une industrie florissante. Privilégié par 70 % des producteurs de vins et spiritueux mondiaux, il jouit également de l'image la plus qualitative auprès des consommateurs. Chaque année, pas moins de 12 milliards de bouchons en liège sont produits (de quoi faire quinze fois le tour de la Terre !), représentant 1,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit 70% des revenus d'une la filière liège qui génère plus de 100000 emplois directs et indirects.

Les secrets de fabrication du bouchon de liège

Si tous les arbres produisent leur écorce grâce à un composé appelé subérine, seul le chêne-liège possède une capacité de régénération aussi spectaculaire, due à la présence de cellules-mères (le phellogène). Elles sont productrices de liège, écorce grise et fissurée, qui peut être ôtée sans que cela n'altère la bonne santé de l'arbre. Mais attention, pour ne pas endommager le chêne, cet écorçage doit respecter un protocole très précis. Il doit être opéré entre mai et août, époque où les cellules de phellogène sont actives. Le tout premier écorçage a lieu autour de l'âge de 25 ans, lorsque le tronc, mesuré à 1,30 m du sol, a un périmètre dépassant 70 cm. La première levée (démasclage) donne du liège mâle, irrégulier et très dur, impropre au bouchon mais exploitable pour ses capacités isolantes, notamment dans le domaine de la construction.

Le chêne-liège possède une grande capacité de régénération
Le chêne-liège possède une grande capacité de régénération

A partir de cette 1ère récolte, l'exploitation du chêne dure environ 150 ans, avec des levées de liège tous les 9 ans, soit entre 15 et 18 écorçages au total, avec un potentiel de 20 000 bouchons. Neuf ans après le premier écorçage, le liège de première reproduction recueilli lors de la deuxième levée offre une structure plus régulière et une texture plus souple, mais malgré tout encore impropre aux bouchons.
Ce n'est qu'à partir du troisième écorçage, entre 38 à 45 ans d'âge, que le liège dit femelle ou d'amadou présente une qualité suffisante pour la création de bouchons. L'extraction du liège est le travail agricole le mieux rémunéré au monde, car il requiert minutie et dextérité pour ne pas faire souffrir l'arbre. Ce savoir-faire traditionnel est d'ailleurs fréquemment transmis de génération en génération dans une même famille de spécialistes ou leveurs. Doté d'une hache, le leveur suit les rainures naturelles de l’écorce pour la fendre verticalement, puis l'extrait en la séparant de son support (la mère) grâce à un mouvement de torsion.
Le but est d'éviter que la planche de liège ne se casse, sa valeur commerciale augmentant avec sa taille. Après avoir dénudé le chêne de son liège, laissant le tronc de couleur rouge vif, marqué du dernier chiffre de l’année durant laquelle l’extraction a été réalisée pour un meilleur suivi, le travail du leveur n'est pas pour autant achevé. Pour éviter que d’éventuels parasites ne se logent dans les quelques fragments de liège parfois encore attachés à la base du tronc, il les fait tomber grâce à de petits coups de hache, afin de laisser un tronc parfaitement propre.

Du liège brut au liège bouchonnable

Après écorçage, les planches de liège sont stockées en plein air, durant au moins 6 mois, dans la forêt ou dans des aires spécifiquement prévues à cet effet au sein des usines de transformation. Pour prévenir toute contagion du liège par des facteurs extérieurs, elles sont empilées sur des matières inertes, en évitant le contact avec le sol. Au cours de cette période de repos, le liège se stabilise. Seules les planches dépourvues de défauts majeurs (tâche jaune, liège vert, excédent de sève, galerie d’insectes) et dotées d'une largeur suffisante (les bouchons étant taillés dans la largeur de la planche), sont retenues.
15 kg de liège brut sont nécessaires pour fabriquer 1 000 bouchons, mais avant d'adopter sa forme finale, le matériau doit suivre un long cheminement en usine.

Le stockage des planches de liège
Le stockage des planches de liège

Afin de préparer le liège, les planches sont d'abord soumises au bouillage, c'est-à-dire plongées dans de l’eau propre en ébullition pendant une heure minimum. Cette étape est primordiale pour la qualité finale. Elle permet à la fois de nettoyer le liège en réduisant substantiellement la microflore, d’en extraire les substances hydrosolubles, et d'en ordonner sa structure interne. En effet, pendant ce processus, le gaz contenu à l’intérieur des cellules se dilate, engendrant une augmentation du volume d’environ 20 %, donc une diminution de la densité, et une souplesse et élasticité accrues. Après cette phase, les planches s'aplanissent naturellement au fil d'un repos d'une à trois semaines.

Vers le bouchon final

Les planches de liège retenues sont ensuite coupées en bandes, d’une largeur légèrement supérieure à la longueur du bouchon à fabriquer. Dans chacune d'elle est opéré le tubage, procédé manuel ou semi-automatique qui consiste à perforer les bandes de liège à l’aide d'un emporte-pièce rotatif ou tubeuse, pour obtenir un bouchon cylindrique. La dimension du bouchon est ensuite ajustée et sa surface régularisée afin d’obtenir le type de bouchon préalablement défini. Les chutes de liège ne se perdent pas, elles sont transformées en granulés de liège pour la fabrication de bouchons techniques (plus de détails en fin d'article) ou de produits à base de liège aggloméré (bâtiment, mobilier...)

Dotés de leur forme définitive, les bouchons subissent ensuite un triage, visuel ou automatique, pour les séparer en différentes classes (de 0 à 6 d'après la charte des Bouchonniers Liégeurs), selon la quantité des pores de surface (ou lenticelles) identifiée. Un lavage a ensuite lieu, généralement à l’eau oxygénée ou avec de l’acide peracétique, afin de nettoyer et désinfecter les bouchons. Le taux d'humidité dans le bouchon est alors stabilisé pour accentuer ses performances d’obturation et assurer une bonne stabilité microbienne. Eventuellement, s'ils présentent un grand nombre de lenticelles, les bouchons pourront être colmatés pour une meilleure apparence visuelle et une étanchéité accrue.
Enfin, les bouchons sont marqués à l’encre ou au feu selon les désirs du client, avant un traitement de surface final à la paraffine et/ou au silicone pour faciliter l'introduction et l'extraction dans le goulot des bouteilles. Emballés dans des sacs en présence de gaz (anhydride sulfureux) pour inhiber le développement microbiologique, les bouchons voguent vers l’embouteilleur de vins ou de spiritueux.

Différents bouchons pour différents usages

Les premières machines pour fabriquer les bouchons ont été brevetées au XIXème siècle au Royaume-Uni, rapidement complétées par des machines pour les calibrer. Pour les vins tranquilles, trois types de bouchons sont employés. Sur les douze milliards de bouchons en liège produits annuellement dans le monde, la majeure partie (22%) est composée par les bouchons naturels, le plus souvent monopièces, directement issus des planches de liège tubées parallèlement aux différentes couches de croissance de l’arbre. Utilisés pour les vins tranquilles, ils sont classés selon leur aspect visuel en catégories (de Sup pour le meilleur aspect visuel à 6 pour le moins bon).

Autre famille de bouchons employés pour les vins tranquilles, les bouchons colmatés (8 % de la production mondiale), bouchons naturels soumis à une opération de colmatage, via le remplissage des lenticelles avec un mélange de colle apte à la consommation alimentaire et de poudre de liège, issue de la rectification des bouchons naturels, puis également classés selon leur aspect visuel. Dernier type de bouchons pour les vins tranquilles, ceux à base de granulés de liège, agglomérés (8%) ou techniques (12%). Agglomérés, ils sont créés à partir de granulés de liège de qualité (par exemple issus du tubage ou de la découpe des rondelles), calibrés et collés, et sont le plus souvent utilisés pour des vins de consommation rapide (moins de six mois). Techniques ou n+n, ils sont constitués d'une ou plusieurs rondelles en liège naturel (1+1, 0+1 ou 0+2), collées sur un ou les deux bouts d'un corps en liège aggloméré. Ils sont classés selon l’aspect visuel des rondelles utilisées. Ce type de bouchon connaît une embellie depuis quelques années, pour ses avantages, combinant les aptitudes d'obturation du liège aggloméré, les qualités organoleptiques du liège naturel en contact avec le vin, et un coût moindre qu'un bouchon naturel.
Pour les spiritueux (cognac, whiskies, liqueurs...), sont utilisés des bouchons de liège à tête (4% de la production mondiale). Ils sont le fruit de l'assemblage d’un bouchon élaboré dans un liège de très haute qualité, solidarisé avec une tête en plastique ou autre (verre, cristal, porcelaine...) et sont aisés à manipuler grâce à leur bonne capacité de préhension.
Pour les vins effervescents et les champagnes enfin, les bouchons sont constitués d’un manche, cylindre de liège aggloméré de granulés de hauts-de-gamme, sur lequel sont collées deux (ou parfois trois) rondelles en contact avec le vin (10% de la production mondiale). A l'inverse des bouchons de vins tranquilles, les rondelles sont découpées dans des planches de liège minces, dans le sens de l’épaisseur, donc perpendiculairement aux couches de croissance, et parallèlement aux lenticelles.

Pour que le liège n'ait résolument plus de secret pour vous, rendez-vous dans le Saison Côté Cave n°26 (hiver 2020) pour comprendre pourquoi ce type de bouchage reste le plus plébiscité à la fois par les producteurs et par les consommateurs mondiaux.

Bon à savoir aussi...

Anecdote historique

Consacré au dieu Jupiter, le chêne-liège incarnait la liberté et l'honneur, et ne pouvait être coupé que par les prêtres. Ses branches et feuilles servaient à couronner les athlètes victorieux.

La richesse des subéraies

Véritable écosystème, les subéraies combinent des terres agricoles, des terrains pour l'élevage d'animaux et des forêts de chênes (chêne-liège quercus suber, mais aussi chêne vert quercus rotundifolia, et dans une moindre proportion chêne noir quercus pyrenaica). Spots de biodiversité, elles sont l'habitat d'espèces rares et menacées, comme le lynx ibérique ou l'aigle impérial, et d'une riche flore. Atout non-négligeable dans un climat méditerranéen, lors des sécheresses estivales, grâce aux propriétés isolantes du liège, le chêne-liège est un rempart contre les feux de forêts. Ces subéraies sont identifiées par les ONG environnementales comme l'un des 35 hotspots globaux de biodiversité, au même titre que l'Amazonie ou les Andes.

Le liège, éco-responsable

La fabrication d'un bouchon en liège émet 10 fois moins de dioxyde de carbone (CO2, gaz responsable du réchauffement climatique) qu'un bouchon en plastique, et 24 fois moins qu'une capsule à vis en aluminium. Par ailleurs, dans la nature, les chênes-liège fixent le CO2 (moins d'1,5 ha de subéraie capture la dose de CO2 annuellement émise par une voiture moyenne), enrichissent le sol de nutriments lorsque les feuilles tombent à terre, et contribuent à freiner l'érosion des paysages grâce au pouvoir protecteur de leur feuillage face aux vents.

Rien ne se perd, tout se recycle

Pas de gaspillage, les copeaux générés lors de la fabrication des bouchons sont utilisés pour d'autres usages, notamment dans des secteurs de pointe, en matière scientifique et technique (aéronautique, ferroviaire, automobile, architecture et construction, équipements sportifs de haut-niveau...), dans le milieu de la mode (bijoux, sacs et portefeuilles, chaussures, parapluies...), mais aussi par exemple pour des articles de pêche ou des instruments de musique.

Le liège, allié sans égal de la conservation

Le plus ancien champagne connu, retrouvé au XXIème siècle, après plus de 200 ans au fond de la mer Baltique suite au naufrage du navire qui le transportait, était bouché au liège et encore en parfait état de conservation. De même, les portos et vieux whiskies optent pour le liège.

Poids des pays producteurs de liège (source : APCOR)

- Portugal 52,5%
- Espagne 29,5 %
- Italie 5,5%
- Algérie 5,2%
- Maroc 3,7%
- Tunisie 2,5%
- France 1,1%

Côté tarif

Le prix final unitaire de revient d'un bouchon s'échelonne entre 0,02 € à 2€ selon le type de bouchon, son aspect visuel, et le vin de plus ou moins grande qualité auquel il est destiné.

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