Devenir vigneron, héritage ou choix de vie ?

Devenir vigneron, héritage ou choix de vie ?

Ils sont vignerons et vigneronnes et poursuivent le travail entrepris par leurs parents. Par choix ou par nécessité, ils ont décidé de reprendre le vignoble créé par leurs ancêtres. Découvrez 4 histoires de reprises vigneronnes. Elles racontent, à l’unisson, un appel de la terre.

A l’ère de la création d’entreprise et du nomadisme professionnel, la question de la transmission interroge. Comment peut-on souhaiter exercer le même travail que ses parents, voire des nombreuses générations qui les ont précédés ? Pour y répondre, nous sommes allés rencontrer ces hommes et ces femmes, héritiers, repreneurs, qui dirigent des exploitations familiales et ont décidé de devenir, à leur tour un maillon de la chaîne vigneronne. Et, nous nous sommes aperçus que les enjeux de la transmission, viticole plus précisément, dépassent la simple volonté d’exercer le même métier que ses parents. D’une part, parce que l’attachement au terroir, apprivoisé, agrandi et travaillé de générations en générations, peut être viscéral. Ensuite, parce-que l’univers du vin est à la croisée de multiples professions. Il mélange l’œnologie, le marketing, la viticulture, la commercialisation, la gestion, l’export, le tourisme… Et tout l’éventail de ces possibles offre des perspectives décuplées aux héritiers, qui ont eu la chance de faire des études, de voyager, avant de revenir à la propriété. Si la transmission s’opère toujours bel et bien aux domaines, vous constaterez, au travers de ces témoignages, qu’elle résulte davantage d’un choix de vie affirmé, nourri de polyvalence et d’expérience, plutôt que d’une volonté sans autre alternative.

Si je n’avais pas repris le domaine, j’aurais gâché ma vie

Bruno Boisson dans son domaine de 28 hectares en bio - Crédit : Le Studio/Vaison-la-Romaine
Bruno Boisson dans son domaine de 28 hectares en bio - Crédit : Le Studio/Vaison-la-Romaine

Bruno Boisson, Domaine Boisson (Cairanne)

Le Domaine Boisson a 150 ans d’histoire. Jadis, mon grand-père apportait son raisin à la cave coopérative, puis, en 1957, il a construit sa propre cave. Mon père, dans les années 1980, s’est mis à commercialiser le vin en bouteilles. À mon tour, après avoir passé un BTS à Mâcon et voyagé en Australie, je me suis installé comme jeune agriculteur en 2002. J’avais 24 ans. Mon père avait alors pris des fermages et acheté des vignes de manière à pouvoir diviser la propriété en deux pour mon frère et moi. La transmission s’est faite en douceur. Bien sûr, j’avais étudié, fait des stages, mais mon père m’a appris la taille, le labours… C’est dans le cycle des choses. Les anciens transmettent, ils s’effacent petit à petit, et les jeunes reprennent. Les terres pour nous, ça représente plus que du foncier. On les a travaillées, plantées, on a sué dans nos vignes, c’est une part de nous. Pourtant, lorsque j’étais enfant, ce n’était pas mon rêve de reprendre le domaine familial. J’étais gêné que mes parents soient paysans, je voyais la vigne comme un métier qui épuise et salit. Mais aujourd’hui, je les remercie. Si je n’avais pas pris la voie de la viticulture j’aurais gâché ma vie. Et, grâce à mes voyages, à ma maîtrise de l’anglais, j’ai pu développer la commercialisation et comprendre l’infinité de compétences qui se croisent dans un domaine viticole.

On ne nous a pas forcé la main, ça faisait partie de notre vie

Légende : Audrey et Leslie en cave, juste après les vendanges - Crédit : Romy Ducoulombier
Légende : Audrey et Leslie en cave, juste après les vendanges - Crédit : Romy Ducoulombier

Avec ma sœur, on a grandi dans ce domaine familial situé dans le Var, entre Cuers et Pierrefeu sur le territoire des Côtes de Provence-Pierrefeu. Parties faire de hautes études - moi dans l’œnologie et le commerce des vins, Leslie dans le droit (elle a même exercé en tant qu’huissier de justice) - on a fini par revenir sur nos terres pour travailler avec Alain et Véronique, nos parents. Pour moi, c’était en 2008. Leslie a fait le pas il y a 4 ans. On a la chance d’avoir des parents ouverts, qui ne nous ont pas forcé la main. Tellement, que lorsque je suis arrivée, mon père m’a donné les clés de la cave ! On savait, l’une et l’autre, qu’un jour l’appel de la terre serait plus fort. On a été promenées par nos grands-parents dans les vignes du Domaine des Peirecèdes et ça aurait été un véritable crève-cœur de les voir partir. On ne vend pas nos terres, tout simplement parce qu’on estime qu’elles ne nous appartiennent pas. Elles étaient à nos grands-parents, elles seront à nos enfants, s’ils le souhaitent. Par contre, les gens ont tendance à voir toujours le côté romantique des exploitations familiales… Mais il faut savoir que pour les garder, c’est parfois un combat

C’est un accident de vie de notre père qui a tout déclenché

Marie-Laurence et Elisabeth Saladin avec Paul et Louis - Crédit : B.Toul
Marie-Laurence et Elisabeth Saladin avec Paul et Louis - Crédit : B.Toul

Marie-Laurence et Elisabeth Saladin, Domaine Saladin (Ardèche)

Nous sommes deux sœurs vigneronnes, la 21ème génération au Domaine Saladin. Notre vignoble, de 17 hectares, nous l’avons repris à la suite de notre oncle Paul et de nos parents, après un grave problème de santé de notre père en 2003. Pour papa, la terre était une affaire d’hommes, et bien qu’il ait réussi à nous faire aimer ce métier avec élégance, il ne nous voyait pas comme ses héritières. C’est vraiment ce concours de circonstances, en 2003, lorsque nous avons du le remplacer à la cave et dans les vignes - alors que nous avions à peine 22 et 24 ans - qui a tout déclenché. Un coup de foudre ! On a attrapé le virus lors de ce moment d’entraide familiale. Une véritable épreuve du feu pour nous qui, à l’époque, ne connaissions même pas le nom de toutes les parcelles. A la cave, notre père – assis dans son fauteuil roulant – nous guidait à chaque étape de la vinification du premier millésime. Puis, pendant 15 ans, il a lâché les rênes par petits bouts. Il avait cette sagesse de nous laisser nous tromper, et d’être là comme un joker. 17 ans après, on se rend compte qu’on est un tout petit maillon, si minuscule, dans cette histoire de transmission-passion.

J’étais sûre que jamais je ne ferais le même métier que lui

Pauline Passot élabore des vins de terroir à Chiroubles
Pauline Passot élabore des vins de terroir à Chiroubles

Pauline Passot, Domaine de la Grosse Pierre (Beaujolais)

Vigneronne dans le Beaujolais, depuis 2018, j’ai repris une affaire familiale – le Domaine de la Grosse Pierre que jamais je n’aurais pensé reprendre. Mon père, qui avait succédé à son père à 18 ans sous la pression familiale, en avait marre. À 60 ans, il n’aspirait qu’à prendre sa retraite. De mon côté, j’avais une image très compliquée du métier de vigneron que, dès l’enfance, j’étais sûre de ne jamais vouloir exercer. Cependant, après un diplôme dans le commerce des vins, une expérience dans l’univers de la sommellerie et des vinifications en Nouvelle-Zélande, j’ai fini par avoir le déclic. De retour dans le Beaujolais, une formation viti-œno et quelques stages plus tard, je parle de mon projet de reprise à mon père. Sa réaction est alors sans appel, il ne me voyait pas reprendre toute seule et n’avait aucune intention de continuer à m’aider lors de cette transmission. J’ai eu l’impression d’être comme un fil à la patte. Ce qui ne m’a pas empêchée de m’installer en mon nom sur un hectare et de produire ma propre cuvée. Lorsque mes parents ont décidé de vendre le domaine, j’ai à nouveau proposé de m’y installer avec mon compagnon. Mon père a cédé cette fois. Bien qu’il prenne plaisir maintenant à m’aider, à revenir de temps en temps, j’ai encore du mal à accepter ses conseils car j’ai besoin de me confronter à mes propres erreurs pour avancer. En somme, c’est une transmission un peu bancale qui a fini par se faire, selon ma propre volonté.

Ecouter l'extrait audio de ces interviews :

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