Bulles d'éternité

Bulles d'éternité

Il y d'abord eu ce voyage en TGV d'un vignoble à un autre, avec un arrêt pensé, excentré de la ville de Reims, aux portes de ce vignoble pluri-centenaire de Champagne, au nom qui prédispose aux terroirs viticoles qui m'attendent: "Champagne-Ardennes". Partie de Bordeaux, 4 heures plus tôt, je me préparais depuis de longs mois à rencontrer cet électron libre, agitateur d'idées, qu'est le Sieur Charles Philipponnat sur son territoire de Mareuil sur Aÿ, berceau de sa famille qui y règne depuis 1522. Une cuvée répondant au nom de "Clos des Goisses" avait achevé de me convaincre. Il fallait que je me rende sur place, comprendre ce champagne, extraordinairement vineux et dense, entre acacia et miel, subtilement bullé, en comprendre la trame et son terroir uniques.
Le 27 Aout 2018, les vendanges y avaient débuté et ce mois d'été finissant dorait la lumière et allongeait les ombres. Charles Philipponnat est visiblement heureux et serein. "Nous n'avons pas eu de millésimes semblables depuis des décennies. La courbe de l'hygrométrie se confond avec le zéro. La vendange est exceptionnellement saine, quelques échaudages. Pas un marc en dessous de 11 degrés, ni étonnamment au-dessus de 12 (probablement à cause du stress hydrique très marqué qui ralentit la végétation)" la barbe récente du champenois en friserait de plaisir. A Mareuil-sur-Aÿ, les 5 hectares 5 du Clos livrent leurs pinots noirs et leurs chardonnays issus de parcelles aux noms les plus évocateurs les uns que les autres, entre l'"Ecluse" "Les 28 verges" "Les Cintres" "La Dure". 45°d'un dénivelé unique en Champagne qui impose sa croupe de calcaire pur au vert phosphorescent du Canal de la Marne au Rhin qui coule 60 mètres plus bas.

Propriété de la famille Philipponnat depuis 1935, cet escarpement géologique reste unique en Champagne, avec quatorze parcelles abruptes, ceintes de clos de pierres et d'escaliers à la minéralité sauvage, empruntant son nom à la Bourgogne et au passage d'un journaliste de la RVF, Raymond Baudouin, assistant à l'édifice de murets consolidant les fondations. Les pinots noirs y poussent en compagnie d'un quart de chardonnays conduits en "cordons de Royat", taille sévère, qui permettent l'élaboration d'un champagne rare, entièrement dévolu à une seule cuvée, remarquable, millésimée systématiquement depuis 1988. Ici, les intervignes sont sarclées et désherbées à la main. Un travail anachronique dans une AOC par ailleurs décriée. Charles Philipponnat ne badine pas avec l'Amour du travail bien fait et quasi ancestral.

En parcourant la Champagne qui s'offre à mes yeux, je puis voir que pas un seul coteau exposé au sud-ouest est indemne de vignobles, zébrés de blanc par les chemins de craie délimitant les parcelles. Charles Philipponnat me précise qu'un grand débat de classification de terroirs nouveaux en appellation est engagé auprès de l'INAO, preuve de l'indéniable réchauffement climatique. Les cagettes souvent phosphorescentes délimitent les aires de ramassage et attendent au petit matin de faire leur office. La Champagne est intégralement récoltée manuellement et le temps des hottes y est révolu.
Ici les chais se nomment "pressoirs" ou encore "vendangeoirs" et sont légions dans chaque village, les grandes maisons défilent sous mes yeux mais aussi une foule de petites propriétés pour beaucoup centenaires. Le trafic y est intense, les routes sont collantes du jus de raisin qui sue des remorques chargées à bloc.

A la Maison Philipponnat, les bâtiments d'origine ont fait place à des chais à la cuverie flambant neuve. L'ébullition dans la cour et le chai y sont perceptibles. Le vignoble est constitué de 8,5 hectares entièrement exposés au sud de cette colline originelle de Reims. Situées dans un triangle d'or, les parcelles sises à Mareuil et à Mareuil-sur-Aÿ portent le nom des lieux-dits "Le Léon" et quelques arpents à Avenay, Louvois, Mutigny et les Riceys qui vont donner naissance à des cuvées spécifiques.
Au sous-sol, l'Histoire nous attend. Les bâtiments et le caveau appartenaient au Château de Mareuil, propriété du Duc d'Orléans. Charles me donnera les détails de cette Histoire Française qui marqueront celle de sa propre famille et de son aïeul Apvril le Philipponnat, capitaine au long cours, suisse de naissance mais qui se mit au service du Roi de France, le Roi Soleil dit le quatorzième, et l'homme va donc attacher le vignoble qui sera ainsi transmis de génération en génération, traversant les épisodes les plus noirs de la Champagne, jusqu'au grand-père Auguste et son frère qui avec la crise phylloxérique de 1910 ravageant alors la Champagne, vont racheter des parcelles et constituer ainsi l'intégrité du vignoble entre Mareuil et Mareuil sur Aÿ.
Au sous-sol, le Saint des Saints nous attend. Un caveau entièrement vouté tel une église, 15 galeries toutes spectaculaires taillées à même la colline de craie. Les champagnes millésimés y dorment d'un sommeil entrecoupé de retournements destinés à mélanger la lie en douceur et profondeur. Les bouteilles élevées sur "pointes" attendent leur sort et Charles préside à leur destinée aidé en cela par le chef de cave, Thierry Garnier, en génies du lieu qui décident du dégorgement à la demande après un vieillissement en barriques de bois pour les cuvées de réserve : http://www.philipponnat.com/pages/les-vins#text_block_la-collection

Les cuvées Phillipponnat trament l'Histoire dans l'histoire, les volontés de chacun d'inscrire ces vins de champagne issu d'un terroir en respectant une éthique vigneronne. Les cuvées Royale Réserve non dosé, Royale Réserve Brut, Grand Blanc Millésimé, la cuvée 1522, les cuvées parcellaires.
Charles Philipponnat reste aussi le gardien avisé de la légende des siècles, assurant aux champagnes cette part du rêve qu'un certain abbé enterré dans le village voisin ait cette idée folle d'affoler des vins tranquilles et d'en faire ce breuvage étonnant, qui signe nos espoirs et rêve les plus fous. Champagne !

Je remercie Charles Philipponnat de m'avoir reçue dans sa famille avec Dany Rolland qui feront de ce voyage en Champagne, un souvenir inégalable qui me donne l'envie d'y revenir.

Crédits photos : Marilyn Johnson

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