A la découverte de 5 vignobles de l'extrême

L’envie de faire du vin pousse parfois les hommes à défier la nature, pour tenter l’aventure viticole dans des zones géographiques aux conditions audacieuses. Démonstration en quintet.

Le plus volcanique : la Geria, à Lanzarote

Au large de la côte africaine, cette île des Canaries réjouit les touristes toute l’année avec son climat chaud et sec et ses spectaculaires paysages volcaniques. Déjà pratiquée localement au XV^ème siècle, la viticulture s’est développée après la grande éruption volcanique de 1730. Cinq ans après ce cataclysme, de retour des îles voisines où ils avaient trouvé refuge, les habitants découvrirent des sols noirs de lave séchée, seulement ponctués çà et là par un petit buisson verdoyant spontané. Vaillants, ils décidèrent d’exploiter ce surprenant sol de scories en y creusant des cuvettes (hoyos), pour atteindre en profondeur la terre rouge et argileuse mâtinée d'humus pré-éruption.

Selon la technique de plantation dite de l'arenado (mise en sable), ils y plantèrent une graine ou une pousse, puis la recouvrirent de scories pour la protéger du soleil et du sablage. Ils finalisèrent ce trou par un petit muret de pierres sèches (zoco), composant un paysage lunaire notamment célèbre dans la vallée de La Geria, vignoble le plus réputé de l'île. Avec 70 à 100 trous possibles à l'hectare disposés en quinconces, le rendement est très faible dans ce vignoble (4hL/ha, contre environ 50 hL/ha à Bordeaux).
A partir de la malvoisie - dont Lanzarote cultive sa variété propre, différente des îles éoliennes, issue d'un croisement avec le marmajuelo -, les vins blancs sont ici stars. Ce cépage se prête à la vinification en blancs secs fruités, gras et chaleureux, mais aussi en vin doux, alliant ampleur et acidité, avec des tonalités de fleurs blanches et une pointe de menthe. Il existe également une production confidentielle de mousseux.

Le plus paradisiaque : le Domaine Dominique Auroy, à Tahiti

Au beau milieu du Pacifique, en Polynésie française, c’est dans l’atoll de Rangiroa (en langue paumotu, l’île au ciel immense) qu’un homme a relevé le défi un peu fou de la viticulture. En 1992, l’entrepreneur français passionné de vin Dominique Auroy importe plusieurs cépages mondiaux pour tester leur acclimatation dans les cinq principaux archipels de Polynésie française, où il réside. Il élit finalement en 1997 l’atoll de Rangiroa, et plus précisément un petit motu (ilot) non-loin par bateau du village d’Avatoru, à 55 minutes de vol de Tahiti.

Au beau milieu des cocotiers, avec en toile de fond le lagon turquoise, il implante sur ces sols calcaires trois hectares de vigne. Les premières vendanges ont lieu en 1999. Après avoir testé sur les cinq premières années une cinquantaine de cépages, le carignan, le muscat et l’italia s’imposent. Du fait de saisons peu marquées, c’est la taille qui déclenche le cycle végétatif, provoque un stress, et permet l’apparition de nouvelles pousses, générant elles-mêmes du raisin. Sous cette chaleur insulaire, l’irrigation est possible grâce à des puits creusés au point le plus bas de la parcelle jusqu’à la nappe peu profonde. Depuis octobre 2010, dans un souci d’engagement durable et d’éthique, l’équipe a entamé une démarche biologique.

Aujourd’hui, sur le Domaine Dominique Auroy, deux vendanges ont lieu par an, tous les cinq mois à cinq mois et demi, le raisin est transporté en dehors de l’île en bateau pour procéder à la vinification. Avec pour patte caractéristique une jolie aromatique et une belle fraîcheur, le vignoble de Rangiroa produit des vins blancs (Blanc de corail, Clos du Récif et Blanc moelleux) et rosés (Rosé nacarat), à hauteur de 30 000 bouteilles par millésime.

Crédit photos : vindetahiti.com/

Le plus nordique : le Domaine Lerkekasa, en Norvège

Si la majorité des vignobles mondiaux sont situés autour du 45^ème parallèle, où les conditions sont optimales pour l’activité viticole, le réchauffement climatique rend possible l’activité viticole dans des contrées où elle aurait été inenvisageable auparavant. Une bonne illustration de ce phénomène est le Domaine Lerkekasa, qui a planté en 2008 ses vignes entre les 58^ème et 62^ème parallèles Nord, au cœur du village fruitier luxuriant de Gvarv dans la région de Telemark, à deux heures d’Oslo, en faisant le vignoble le plus au nord du globe. A l’abri des collines et montagnes alentour, à 100 mètres au dessus du niveau de la mer, face du lac Norsjø, cette ancienne ferme bénéficie d’un bel ensoleillement, de températures plus douces que dans le reste du pays et d’un sol enrichi par les périodes de glaciation. Nombre de tests ont été nécessaires pour identifier les espèces les plus aptes à prospérer sous cette latitude inhabituelle.

Aujourd’hui, le domaine élabore des vins en trois couleurs à partir de cépages classiques et de variétés hybrides dites résistantes, mais aussi des vins de fruits et de baies (pommes, prunes, rhubarbe, baies…). Pour un séjour dépaysant, le domaine propose aussi des hébergements.

Le plus humide : la Thaïlande

La Thaïlande est connue pour son climat tropical chaud et humide, marqué par ses épisodes de moussons. Faisant fi de ces conditions peu propices à l’activité viticole, un médecin thaïlandais passionné de viticulture, le Docteur Chaijudh Karnasuta, a planté en 1995 les premiers ceps de vigne au nord du pays, sur les hauteurs de Phu Rua. Depuis, emboîtant le pas au Château de Loei, des dizaines de producteurs ont rejoint ce pionnier sur trois principales régions, à une altitude variant entre 110 et 530 mètres : Hua Hin Hills et Pattaya dans le centre du pays, et Khao Yai dans le nord. Parmi les autres noms célèbres, on peut citer Siam winery près de Hua Hin, et Granmonte près du parc national de Khao Yai national park.

Une douzaine de cépages sont usité, certains bien connus sous nos latitudes, d’autres plus locaux (chenin blanc, colombard, malaga blanc viognier pour les cépages blancs ; black queen & pokdum, cabernet sauvignon, dornfelder, grenache, pinot noir, sangiovese, shiraz/syrah et tempranillo pour les cépages rouges).
Les vendanges sont opérées entre janvier et mars, pour donner naissance à des vins au profil fruité, frais et acidulé, majoritairement rouges, mais aussi à quelques vins blancs et plus marginalement mousseux, parfaits pour accompagner la gastronomie locale.

Le plus perché : Ao Yun, en Chine

De longue date, la marque de luxe LVMH nourrissait le rêve de faire naître un grand vin rouge sur le sol chinois. Après une phase de prospection débutée en 2008 sous la houlette du winemaker australien Tony Jordan, un vignoble a pris place en 2013 sur les contreforts de l’Himalaya, à des altitudes records comprises entre 2200 et 2600 mètres. Son nom : Ao Yun (signifiant flying above the clouds, en référence aux épais nuages flottant au sommet des chaînes montagneuses).

Sur ces pentes abruptes des bords du Mékong, non-loin de la mythique cité de Shangri-La, les températures sont similaires à celles de la région de Bordeaux.
Fruit d’un processus de viticulture entièrement mené manuellement par les 120 familles des quatre villages les plus proches, la cuvée rouge Ao Yun est issue d’un assemblage de cabernet sauvignon, cabernet franc, syrah, petit verdot et merlot venus de 314 parcelles, réparties sur près de 30 hectares. Ce vin du terroir himalayen se dévoile concentré, frais et velouté.

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